Les Corses opteront-ils pour le suicide en réclamant l’indépendance? (éditorial de C. Barbier publié dans l’Express)
Le 28 juillet 1885 Jules Ferry prononça à l’Assemblée nationale son discours sur les races inférieures et supérieures et s’exprima en ces termes:
« Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. […] Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. »
Même à l’époque un tel discours était osé et, avant la brillante réplique donnée deux jours plus tard par Clémenceau, c’est Maigne qui riposta immédiatement dans l’hémicycle: « Oh! Vous osez dire cela dans le pays où ont été proclamés les droits de l’homme! ». Puis il fut suivi par de Guilloutet: « C’est la justification de l’esclavage et de la traite des nègres! »
Ces références à 1789 et 1848 étaient fort justes, car même si elle fut un état esclavagiste, raciste et colonialiste, la France se distingua particulièrement dans le combat de l’émancipation de l’homme. Et, passant des problématiques de race à celles de religion, elle sut aussi développer le concept de laïcité. L’affaire Dreyfus, la loi de 1905, le travail entrepris autour de la Shoah permirent de prendre le pas sur cette vieille souche antisémite française qui fut particulièrement active à certains moments de l’histoire de ce pays – on se souvient de Simone Veil qui racontait comment elle devait cacher son insigne de scout juive dans les transports en commun du Nice des années 30. Si la France put traiter en profondeur les problèmes touchant à la race et la religion, il n’en fut pas de même pour les langues et les cultures. Ainsi on ne peut être surpris de retrouver dans la bouche de l’éditorialiste de l’Express (Christophe Barbier 22/12/2015) ce vieux mélange de sentiment de supériorité et de paternalisme:
« Aux cultures basque, bretonne, alsacienne, picarde ou berrichonne, celle qui prospère à Bastia, Ajaccio ou Corte n’a rien à envier. Mais la culture française, mélange et transcendance de ces apports régionaux, est d’un ordre infiniment supérieur. »
La juxtaposition des mots « infiniment » et « supérieur » pourrait prêter à sourire si tout l’éditorial n’était pas aussi problématique pour le fait corse. Linguistiquement d’abord, le corse est pour Christophe Barbier « un dialecte chaleureux et chantant, peu propice aux envolées oratoires tout en atteignant parfois de touchants accents de gravité. »
Curieuse façon de catégoriser les langues… Comme le dit Ngalasso Mwatha, Professeur de sociolinguistique et de linguistique à l’Université Michel de Montaigne:
« Aujourd’hui on admet généralement que chaque langue organise la pensée et dit le monde d’une façon propre, et que toutes les langues peuvent tout dire avec des moyens différents mais tout aussi efficaces. »
La vision de Christophe Barbier n’est finalement pas loin de la définition du Nouveau Petit Robert de la Langue française de 2009 qui donne le mot patois comme un « parler local, dialecte employé par une population généralement peu nombreuse, souvent rurale et dont la culture, le niveau de civilisation sont jugés inférieurs à celui du milieu environnant (qui emploie la langue commune) ».
Et, comme dans la définition du dictionnaire, l’éditorialiste passe de la langue à la culture:
« Seules la langue et la culture françaises ont accédé à l’universel. Il n’y a pas de Voltaire ni de Hugo corses, et c’est le français que l’on entend dans les cénacles olympiques, grâce à Coubertin, comme dans les travées des Nations unies, grâce à de Gaulle. »
Faut-il rappeler que dès septembre 1793 la Terreur des jacobins définit l’éradication des « parlers locaux » comme un objectif politique? Comme le disent les députés Urvoas et Jung dans leur essai « Langues et cultures régionales : en finir avec l’exception française », tout ceci a « largement contribué à forger le surmoi jacobin qui, pour le grand malheur des langues et cultures régionales, imprègne encore largement la haute administration et la classe politique françaises. » Les parlementaires vont jusqu’à parler de 5 siècles de discrimination dont la loi Deixonne sera le premier réel contrefeu en 1951 même si, disent-ils, « la représentation nationale, dans les années 1950-1970, reste massivement et parfois violemment hostile aux langues régionales » et que « le pouvoir exécutif, enfermé dans ses vieux réflexes anti-patois, ne donne guère l’exemple ». Et pourtant, la langue corse ne figurait pas dans la loi Deixonne et dut attendre 1974 pour faire son entrée dans l’enseignement. On voit mal comment dans ces conditions une autre langue que le français pourrait se développer… Loin de vouloir excuser, comprendre ou réparer – n’est-ce pas là le propre de celui qui défend des valeurs universelles? N’est-ce pas là la vraie attitude de l’homme civilisé? – l’éditorialiste poursuit avec un certain cynisme en estimant que la Corse ne saurait en aucun cas se suffire à elle-même : langue « dialecte », culture d’un ordre inférieur à la française, elle est aussi économiquement dépassée car « indépendante, elle ne pourra devenir qu’un paradis fiscal inondé d’argent sale et doublé d’un vaste écomusée pour hordes de touristes » et sera à nouveau « un confetti encombré de chèvres et de châtaigniers ».
L’historien Patrick Weil est bien plus éclairé lorsqu’il définit l’égalité des droits comme ce qui fut le premier moteur de construction de la nation française et, de nos jours, c’est l’égalité des langues et des cultures qui permettra à Paris et à la Corse de trouver une relation aussi apaisée qu’équilibrée. Un tel éditorial, avec ses concepts d’infériorité et de supériorité, semble surgir d’un passé révolu et ne peut que desservir son propre objectif en accroissant le désir d’émancipation des Corses. Car si l’homme du XIXème a vécu dans un système lui faisant intérioriser et admettre l’infériorité de sa langue et sa culture, celui du XXIème n’est plus dupe de rien. Et plus le temps passera, plus se développera une conscience corse à laquelle désormais plus rien ne fait obstacle. Et une telle conscience, poussée par l’exécutif local, aura le plus grand mal à définir sa place dans un carcan dérivé du jacobinisme. D’autant plus que cet exécutif ne cessera de s’appuyer sur l’esprit de la Convention internationale des Droits de l’Enfant et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, toutes deux signées par la France mais jamais vraiment appliquées. Que vaut donc la signature de la France en ce domaine? Renan disait:
« L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation. »
Le temps est venu désormais de savoir si on souhaite l’inscrire dans une optique égalitaire et humaniste ou bien si on persiste dans un système fondé sur une hiérarchie héritée de la Terreur.
En plus de la définition du patois le Robert cite une phrase en exemple tirée des fables de La Fontaine:
« l’âne dit en son patois »! Exemple très révélateur, ceux qui parlent des langues régionales (des patois pour le Robert) sont donc des ânes! La reconnaissance de l’occitan, du Corse, du Basque du Breton est loin d’être acquise!
Que se va caler bolegar per avançar!!!
Le Larousse est plus malin, en s’appuyant sur l’opinion des locuteurs il ne donne pas son avis personnel: « Système linguistique essentiellement oral, utilisé sur une aire réduite et dans une communauté déterminée (généralement rurale), et perçu par ses utilisateurs comme inférieur à la langue officielle »
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/patois/58677?q=patois#58318