Dans l’ouvrage «Histoire sociale des langues de France» Pierre Escudé décrit un ensemble de conditions, particulièrement remarquables, qui ont prédisposé au rejet des langues régionales
«Ne pas parler français dès la naissance est un handicap culturel, social et politique : un manuel de « méthode directe » est ainsi destiné aux « sourd-muets, aux enfants de nos provinces patoisantes, aux jeunes indigènes de nos colonies, ainsi qu’aux élèves des classes de français de nos colonies. » (Boyer,1905)»
Si depuis, certains progrès ont été réalisés dans le rapport à ces langues, l’auteur note toutefois que
«L’épisode de la non-ratification de la Charte en 1999 a réveillé les anciens réflexes présents dans les « jacobinières » (Ozouf, 1984:414) de tout l’échiquier politique. […] Ce retour aux « valeurs » redéfinit une hiérarchie violente et verticale des langues et incite ouvertement à un retour au monoliguisme, l’anglais de communication étant désormais paré des atouts de l’ex-français des Lumières.»
L’anglais justement… Il n’est nul besoin de considérer le niveau de pratique désormais quasi confidentiel de la langue française en Louisiane pour se rendre compte que les mêmes causes produisent les mêmes effets partout. Et, comme en France métropolitaine, les clichés et raisonnements à court terme ont la peau dure. John Mc Worther publiait en février 2014 dans le journal New Republic (New York) un article cinglant qui en est la parfaite illustration
«On apprend le français pour communiquer avec … qui, exactement? Certains mourront d’envie de lire Sartre et Molière, tant mieux pour eux. Mais qu’en est-il de langues comme l’espagnol et le chinois qui sont utiles à apprendre car nous les rencontrons dans la vie de tous les jours? J’ai vu des professionnels de la santé rater de réelles opportunités financières juste parce qu’il se trouvait qu’un autre candidat parlait espagnol, et le chinois deviendra de plus en plus important dans le monde des affaires. Des compétences en arabe sont fortement recherchées sur la scène géopolitique. C’est génial de savoir que le français vous permet d’ignorer les sous-titres du film visionné dans le cinéma d’art et d’essai où l’on se rend à l’occasion, mais on ne voit vraiment pas bien pourquoi on devrait le considérer comme une priorité dans l’éducation des enfants.»
En avril 2016, c’est Jeremy Paxman qui enfonçait le clou dans le Financial Times
«La culture européenne manquerait d’épaisseur sans Montaigne, Descartes, Debussy et Cézanne, sans oublier le dictateur des dictateurs, Napoléon Bonaparte. Le problème est que ça date de belle lurette et que le monde d’aujourd’hui est anglophone. Dans le combat séculaire opposant français et anglais il y a un vainqueur, et prétendre autre chose est comme suggérer que Johnny Hallyday est le futur de la pop.
Il n’y a aucune raison à ce que les Britanniques jubilent car cela relève de l’héritage d’un empire construit il y a bien des générations et de la domination des US sur le reste du monde. Mais l’issue de cette lutte est claire: l’anglais est la langue de la science, de la technologie, des voyages, des loisirs et du sport. Pour être un citoyen du monde, vous devez l’avoir pour langue.
La façon dont le gouvernement français dépense son argent est son affaire. De notre point vue, la seule question importante est dans quelle mesure il est bon de promouvoir la langue française et ses valeurs. Quand l’ancienne partie de l’Afrique du Sud-Ouest, qui fut une fois allemande, accéda à l’indépendance en tant que Namibie, elle adopta avec raison l’anglais comme langue officielle, elle le fit avec le très bon argument que cela donnerait à ses citoyens un avenir.
[…] Si vous êtes un locuteur natif en anglais, étudiez absolument le chinois, l’arabe ou l’espagnol. Si vous le devez, étudiez le français, parce que c’est une belle langue. Mais restons loin de l’idée que cela vaut vraiment la peine de l’apprendre comme moyen de communication.»
Finalement, quelles que soient l’échelle et l’époque, le raisonnement reste le même. Selon eux l’Histoire a fait le tri et il ne resterait plus au français que la gloire passée de Montaigne, Descartes, Debussy et Cézanne, comme il ne resterait plus à l’occitan que le souvenir d’avoir été la langue des troubadours, la langue de la littérature par excellence des XIIème et XIIIème siècle, ou celle du prix Nobel de littérature du début du XXème siècle, Frédéric Mistral. Une logique darwinienne a donc séparé les gagnants des perdants, et engendré un authentique sentiment de supériorité linguistique et culturel, particulièrement notable dans le ton employé par les journalistes anglais et américain. Et c’est ce même sentiment de supériorité qui sert d’assise à la promotion d’un monolinguisme agrémenté de l’enseignement non précoce des langues étrangères, titre auquel n’a plus droit la langue française au sein d’une certaine intelligentsia anglophone qui lui préfère un rôle folklorisant. Mais quel gâchis! Qui saura dénoncer cette logique d’opposition des langues et lui substituer un système collaboratif? Dans l’ «Enfant aux deux langues», Claude Hagège, Professeur au Collège de France, décrit cette situation bien connue des ethnologues et linguistes, où les mères de certaines zones asiatiques ou africaines se regroupent pour élever leurs fils et filles. Dans le cas commun où un enfant a une mère et 3 belle-mères et qu’elles parlent toutes des langues différentes, il n’a aucune peine à en maîtriser quatre. Ceci vaut pour tous et pas simplement pour les plus doués, il faut juste commencer bien avant le passage à la puberté tout en respectant le principe de Ronjat, «une personne = une langue», qui garantit un apprentissage sans interférence entre les différentes langues. L’éducation est certainement l’endroit où le multilinguisme fait le plus la preuve de son efficacité.
Ainsi poursuit Pierre Escudé
«Les évaluations académiques ou nationales confirment des résultats connus ailleurs depuis longtemps : une classe d’élèves bénéficiant d’un bilinguisme scolaire bien construit obtient des taux de réussite toujours supérieurs en moyenne à une classe monolingue, à conditions sociales égales.»
C’est tout le développement des capacités cognitives de l’enfant qui se trouve nettement stimulé par le bilinguisme précoce. Là encore la collaboration prime sur la mise en opposition. Ce qui permet d’aller bien au-delà d’un don particulier pour les langues, en particulier l’anglais, ou de résultats scolaires significativement meilleurs. Il fut un temps où les éditorialistes se questionnaient sur l’incapacité de la France à trouver sa place dans la mondialisation. À ma connaissance aucun n’a su construire une argumentation suffisamment solide pour l’expliquer. Ce pays qui fut jadis le plus riche d’Europe en termes de diversité linguistique et culturelle est désormais le plus pauvre. Dans de telles conditions, comment une nation profondément monolingue et monoculturelle pourrait-elle tirer son épingle du jeu dans les contextes européen et mondialisé? Éducation First, un programme international de cours et d’échanges dans les pays anglophones, notait dans ses conclusions en 2012 que
«La France peut faire mieux. Le niveau d’enseignement de l’anglais en France est inférieur aux normes européennes, ce qui représente un obstacle, pour les adultes de ces pays, en termes d’accès aux marchés européens et mondiaux»
Mais surtout il ressort que la France ne sait même pas exploiter sa proximité linguistique avec l’anglais
«Malgré des racines latines communes avec la langue anglaise, la France se place dans le monde derrière certaines économies majeures en Asie telles que la Corée du Sud».
Et bien sûr, on ne sera pas surpris que les peuples déjà bilingues tirent leur épingle du jeu
«Malgré l’héritage de l’Union soviétique et le fait que le russe soit imposé comme langue étrangère dans certaines parties d’Europe centrale, les adultes ont aujourd’hui appris à parler anglais».
Ce qui n’est pas sans conséquence pour la France comme l’indique le rapport
«La profonde réticence des Français à apprendre l’anglais conduit la France à se classer en dessous de la plupart de ses voisins en terme de niveau de langue. Cette défiance pourrait bien menacer la performance économique du pays dans une période difficile»
«Obstacle […] en termes d’accès aux marchés européens et mondiaux», menace sur «la performance économique du pays», on voit bien à quel point le risque de déclassement national est grand quand on fonctionne sur des bases monolingues qui vont à contre-courant de ce qu’impose la mondialisation. Et c’est sans compter sur le côté culturel de la problématique, car la même phrase prononcée par un britannique avec l’accent d’Oxbridge peut s’avérer avoir un sens radicalement opposé dans un contexte texan ou africain. La capacité à se projeter dans l’environnement culturel de l’autre est un élément clef de plus à intégrer.
Évidemment il ne s’agit pas de mettre le bilinguisme en langue régionale sur un piédestal en inversant le sentiment de supériorité exposé en amont. Bien au contraire… Il faut montrer à quel point ce sentiment est décalé des réalités du monde d’aujourd’hui et promouvoir un modèle collaboratif où chaque langue et culture, en trouvant harmonieusement sa place, seront les garants du développement de l’homme de demain.
A perpaus deu sentiment de superioritat en la practica de las lengas
En lo libe «Istòria sociau de las lengas de França» Pierre Escudé que descriu condicions de las remirablas, que predispausèn a l’exclusion de las lengas regionaus:
«Ne pas parlar francés autanlèu com la vaduda qu’ei ua trava culturau, sociau e politica: un manuau de « tecnica directe » qu’èra destinat « aus muts e shords, aus mainats de las nostas províncias patejesantas, aus joves indigènas de las nostas colonias, e aus escolans de las classas de francés de las nostas colonias. » (Boyer, 1905)»
A despieit de quauques progrès complits en çò que concerneish la relacion dab aquèras lengas, l’autor escriu totun que:
«L’episòdi de la non-ratification de la Carta en 1999 que deishudè los ancians reflèxes presents en las « jacobinièras » (Ozouf, 1984:414) de tot lo paisatge politic. […] Aquesta tornada a las « valors » que determina ua ierarquia violenta e verticau de las lengas e incita francament a tornar cap au monoligüisme, dab l’anglés de comunicacion, d’ara endavant ondrat deus atots de l’ex-francés deu sègle de las Lutz.»
L’anglés precisament… N’i a pas nat besonh de considerar lo nivèu de practica quasi confidenciau de la lenga francesa en Loïsiana per avisà’s que las medishas causas produseishen las medishas consequéncias pertot.
E, com en França metropolitana, los lòcs comuns e rasonaments a tèrmi cort qu’an la cordilha tilha. John Mc Worther que publiquè en heurèr de 2014 en lo jornau New Republic (New York) un article hissant que n’ei la perfèita demonstracion:
«Qu’aprenem lo francés per comunicar dab… qui, exactament? Daubuns que moriràn d’enveja de léger Sartre e Molière, tant miélher per eths! Mes que pensar de lengas com l’espanhòu e lo chinés que son utilas d’apréner pr’amor que las encontram en la vita quotidiana? Que vedoi professionaus de la santat mancar vertadèras oportunitats financèras pr’amor u’i avèva un aute candidat qui parlava espanhòu, e lo chinés que vaderà de mei en mei important en lo monde deus ahars. Las competéncias en arabe que son de las cercadas en la scèna geopolitica. B’ei genhèc de saber que lo francés nos permet d’ignorar los sostítols deu film visionat en lo cinemà d’art e ensai on anem, mes ne vedem pas plan perqué deberem considerà’u com ua prioritat en ‘educacion deus mainats.»
En abriu de 2016, qu’estó Jeremy Paxman que getè lenha au huèc en lo Financial Times:
«La cultura europea ne seré pas pro espessa shens Montanha, Descartes, Debussy e Cézanne, shens desbrombar lo dictator deus dictators, Nabulionu Bonaparte. Lo problèma ei que tot aquò se debanè bèra pausa a e lo monde de uei qu’ei anglofòn. En lo combat secular qu’opausava francés e anglés qu’i a un vencedor, e preténder ua auta causa que seré com suggerir que Johnny Hallyday ei lo futur de la pop.
N’i a pas nada rason que’n jubilin los Britanics pr’amor que vien tant de l’eretatge d’un empiri bastit bèth temps a, com de la dominacion deus Estats Units sus la rèsta deu monde. Mes la resulta d’aquèsta luta qu’ei clara: l’anglés qu’ei la lenga de la sciència, de la tecnologia, deus viatges, deus lésers e de l’espòrt. Tà estar un ciutadan deu monde, que’u devetz aver com enga.
La faiçon com lo govèrn francés se maubarreja los sòus qu’ei lo son ahar. Deu noste punt de vista, l’unica qüestion importanta qu’ei: en quina part seré bon de promòver la lenga rancesa e las soas valors? Quan l’anciana partida de l’Africa deu Sud-Oest, la Namibia qu’estó un còp alemanda, accedí a l’independéncia, qu’adoptè dab rason l’anglés com lenga oficiau, e qu’ac hasó dab l’argument deus bons qu’aquò balharé aus sons ciutadans un avenidor.
[…] S’ètz un locutor natiu en anglés, estudiatz a tot hòrt lo chinés, l’arabe o l’espanhòu. Se n’avetz besonh, studietz lo francés, pr’amor qu’ei ua bèra lenga. Mes ne cresim pas que vau vertadèrament la pena de l’apréner com biais de comunicacion.»
Finaument, quaus que siin l’escala e lo temps, lo rasonament que demora lo medish. Segon eths l’Història que hasó la tria e ne demoraré pas mei au francés que la glòria passada de Montanha, escartes, Debussy e Cézanne, tant com per l’occitan las brembas d’aver estat la lenga deus trobadors, la lenga de la literatura per excelléncia deus XIIau et XIIIau sègles, o la deu pretz Nobel de literatura deu començament deu XXau sègle, Frederic Mistral. Donc ua logica darwiniana que separè los ganhants deus perdents, e que hasó vàder un sentiment autentic de superioritat lingüistic e ulturau, deus notables en lo ton emplegat per los jornalistes anglés et american. E qu’ei sus aqueste sentiment de superioritat que s’empara la promocion d’un monolingüisme ondrat de l’ensenhament non precoç de las lengas estrangèras, títol au quau la lenga francesa n’a pas mei dret au perhons d’ua intelligéntsia anglofòn que’u ved com un objècte folcloric. Mes quin esperdici! Qui saberà denonciar aqueste logica d’oposicion de las lengas e substituí’u un sistèma collaboratiu? En «Lo mainat dab duas lengas», Claude Hagège, Professor au Collègi de França, que descriu questa situacion plan coneishuda deus etnològues e lingüistes, on las mairs d’uas zònas asiaticas o africanas que s’amassan per educar los hilhs e las hilhas. En lo cas comun on un mainat qu’a ua mair e tres sògras e que parlan lengas diferentas, n’a pas briga de pena a ne mestrejar quatre. Aquò que vau per tots e pas sonque taus mei dotats, totun que cau començar abans lo pas de la ubertat tot en seguir lo principi de Ronjat, «ua persona = ua lenga», que garanteish un aprenedissatge shens interferéncia entre las diferentas lengas. L’educacion qu’ei de segur l’endret on lo multilingüisme hè lo mei la pròva de la soa eficacitat. Atau que contunha Pierre Escudé:
«Bèra pausa que las evaluacions academicas o nacionaus que confirman resultats coneishuts alhors: ua classa d’escolans que beneficia d’un bilingüisme escolar plan bastit qu’obtien taus d’escaduda tostemps superiors en mejana a ua classa monolingüe, dab condicions sociaus egaus.»
Qu’ei tot lo desvolopament de las capacitats cognitivas deu mainat que’s tròba plan estimulat per lo bilingüisme precòç. Aquí tanben la collaboracion que prevau sus l’oposicion. Çò que permet d’anar tà delà un don particular per las lengas, com l’anglés, o de resultas escolarias significativement miélhers. Èra un temps quan los editorialistes se qüestionavan a perpaus de l’incapacitat de la França a trobar lo son lòc en la mondialisacion. Au men semblar, nat d’eths ne sabó bastir ua argumentacion pro solide tà balhar l’explicacion. Aqueste país qu’estó, dias a, lo mei ric d’Euròpa en matèria de diversitat lingüistica e culturau qu’ei, d’ara endavant, lo mei praube. En aquestas condicions, com ua nacion pregondament monolingüe e monoculturau poderé tirà’s la palheta en los contèxtes europeus e mondialisats? Education First, un programe internacionau de cors e d’escambis dab país anglofònes, que notava en las soas conclusions en 2012 que:
«La França que pòt har miélher. Lo niveth d’ensenhament de l’anglés en França qu’ei inferior a las nòrmas europeas, çò que representa ua trava, taus adultes d’aqueste país, en matèria d’accès aus mercats europeus e mondiaus.»
Mes resulta sustot que la França ne sap pas har vàler la soa proximitat lingüistica dab l’anglés
«A despieit d’arraditz latinas comunas dab la lenga anglesa, la França que’s bota en lo monde darrèr quaquas economias màgers en Asia taus com la Corèa deu Sud». Plan solide que ne seram pas susprés que los pòbles dejà bilingües se tiran la palheta:
«A despieit de l’eretatge de l’Union sovietic e lo hèit que lo rus sii impausat com lenga estrangèra en daubas partidas d’Euròpa centrau, los adultes de uei qu’an aprés a parlar anglés».
Çò que n’ei pas shens conseqüéncia tà la França se legis suu rapòrt:
«La réticéncia pregonda deus francés a apréner l’anglés que mia la França a classà’s en devath de la màger part deus sons vesins suu punt deu niveth de lenga. Aquesta des·hidança que poderé miaçar l’escaduda grana economica deu país en ua periòde complicada»
«Empach […] quan s’ageish de’s har vàler aus mercats europeus e mondiaus», miaça sus «l’escaduda economica grana deu país», que vedem plan dinc a quin punt lo risc de desclassament nacionau qu’ei gran quan un país fonciona sus basas monolingüas que van a contracorrent de çò qu’imposa la mondialisacion. E qu’ei shens comptar suu costat culturau de la problematica, pr’amor que la medisha frasa prononciada per un britanic dab l’accent d’Oxbridge que pòt aver un sens radicaument oposat en un contèxte texan o african. La capacitat a projectà’s en l’ambient culturau de l’aute qu’ei un element clau en mei d’integrar.
Plan solide ne parlém pas de reivindicar suu pitèr lo bilingüisme en lenga regionau e d’inversar lo sentiment de superioritat exposat abans. B’ei tot lo contra… Que cau amuishar dinc a quin punt aqueste sentiment qu’ei luenh de las realitats deu monde de uei e promòver un modèle collaboratiu on cada lenga e cultura, en trobar armoniosament lo son lòc, que seràn l’empara deu desvolopament de l’òmi de doman.